Il y a 20 ans, le vendredi 4 mai 2001, j’étais hospitalisée pour méningite de type C. Et je pense que c’est le moment d’en parler, alors que je me ferai vacciner dans deux semaines contre un « virus » qui a profondément touché des personnes autour de moi, mais aussi, en voyant le deuil qui frappe partout. Je suis en vie, et comme Danielle le dit souvent, on oublie de se rappeler de ce privilège d’être en vie. Chaque jour.
J’étais censée danser toute la fin de semaine pour des show que nous avions prévu avec Martine. J’avais 14 ans, et Josée, ma grande amie et fidèle partenaire de danse était venue chercher mes costumes. Je pensais avoir une grippe musculaire et que j’allais pouvoir revenir sur scène bientôt. Au contraire, trois mois de convalescence m’attendaient. Nous avions eu une grosse semaine de spectacles de danse, et je me disais que je faisais une « grippe » typique « post-adrénaline » – et non, ce n’est pas normal d’avoir intériorisé ça.
Je me souviens que j’étais en cours de musique avec une des meilleurs professeurs que j’ai eus, Michel Aubert; c’était loin dans les locaux du Collège et les étourdissements étaient tels, que je devais me tenir sur les murs pour aller jusqu’à l’entrée principale ; j’avais demandé à Marlyn de venir me chercher et je me souviens que j’ai eu énormément de difficulté à me rendre.
J’ai senti mon corps arrêter de fonctionner. J’ai vomi plusieurs fois, je faisais énormément de fièvre et tout mon corps brûlait et me faisait tellement mal, que je perdais de plus en plus conscience. Mais, à l’hôpital de Charny, la ponction lombaire sortait « normale ». J’avais la méningite virulente, et très rapidement, j’ai commencé à avoir des plaques de sang qui faisaient irruption sur ma peau. On m’a dit que si je n’avais pas été à l’hôpital, six heures auraient suffi pour constater mon décès.
J’avais dormi à l’hôpital de Charny car on ne savait toujours pas si j’avais la méningite ou la mononucléose. Aux petites heures du matin, mon corps brûlait quand je bougeais; les irruptions sur ma peau ont probablement sonné l’alerte aux médecins qui m’ont transféré à l’hôpital de Lévis (on peut voir avec le bracelet qu’il existe une véritable impossibilité qu’on écrive mon nom correctement). À partir de là, je suis entrée dans un état semi-comateux. Quand je suis arrivée à Lévis, j’avais déjà entendu dans l’ambulance que j’avais la méningite, mais je ne savais pas ce que cela impliquait, ni la gravité.
Entre mon transfert de Charny à Lévis, à 4 heures du matin environ, les journalistes se ruaient déjà vers mes parents et ami-es pour soutirer des informations. Mes parents qui ne savaient même pas encore que j’avais la méningite. Les médias oui.
À cette époque, on parlait d’une épidémie. J’étais le dix-neuvième cas dans la région et j’ai voulu mettre les coupures de journaux que nous avons trouvé hier; ça me fait vraiment étrange de lire ces titres en pleine pandémie mondiale. Où la « contagion » nous a poussé à changer tellement de perception sur les corps, sur le rapport entre les corps. À cette époque, il y avait déjà eu des coupures atroces dans le système de santé : ma mère devait faire une partie du travail des infirmières qui étaient débordées – les problèmes qui nous ont heurté de plein fouet avec la pandémie font donc partie à la fois de notre échec en tant que société pour mettre au cœur de nos vies le soin, et le travail souvent gratuit des femmes et, d’autre part, l’échec de nos systèmes politiques et de santé.
Plusieurs personnes m’ont sauvé la vie.
Ma grand-mère m’a sauvé la vie. Quand elle m’a vue elle a compris que je n’avais pas une grippe; son sentiment et sa connexion si forte avec moi qu’elle a dit qu’il fallait aller à l’hôpital rapidement. Par chance. Tous les jours, avec ma mère, elles se relayaient. Mamy disait surtout qu’elle allait prier au cimetière pour que mon grand-père ne m’amène pas auprès de lui. Et dans un état entre l’éveil et l’inconscience, j’avais dit à ma mère et ma grand-mère qu’il ne m’avait pas encore appelé vers lui. C’est peut-être vrai, il y eu une force plus grande que moi dans ce combat.
Ma mère Brigitte qui n’a pas passé une minute loin de moi, même quand j’étais complètement isolée et contagieuse aux soins intensifs. Son amour était probablement le principal facteur immunisant contre le virus. Elle dormait sur la chaise à côté de mon lit, en attendant de savoir si j’allais survivre aux premières 48 heures. Je me suis toujours dit que ma position d’enfant n’allait jamais me permettre de comprendre son sentiment.
Mon père Alain qui a perdu des amis par peur de « contagion », et qui s’est fait harceler par les journalistes pour avoir des « détails ». Mon père qui, comme toujours, m’a transmis son amour par le service et la générosité.
Merci à mon frère Rafa, qui avait seulement 8 ans à l’époque et qui m’a vu à travers la fenêtre des soins intensifs, dans la même unité où nous avions vu mourir notre grand-père 8 mois auparavant. Pour lui, c’était un choc; même si lui s’en souvient plus que moi en raison de mon état, mais aussi, de sa mémoire de feu. Cette salle était déjà trop associée à la mort pour lui. Et déjà à 8 ans, c’était par le dessin qu’il transmettait son amour; j’en ai trouvé pleins hier, ça m’a fait chaud au cœur.
À ma tante Marlyn, qui m’a enseigné tous les jours de ma vie la signification du mot bataille. Elle, qui a toute mon admiration, elle qui sait tellement ce que ça veut dire d’être prisonnière de son corps, mais de toujours continuer à se battre pour lui, et avec lui, malgré tout.
Merci au médecin de Charny qui, à ce moment, a eu l’intuition professionnelle – et je crois, juste humaine – de me donner des médicaments pour vaincre la méningite même si le diagnostic n’était pas donné. Sans lui, je n’écrirais pas ces mots aujourd’hui. Et merci à la docteure Claire Mondor qui m’a prodigué des soins surhumains; c’est grâce à elle et tout-es les spécialistes – dont son mari qui a été l’infectiologue chargé de me soigner – que j’ai pu recommencer à marcher et que je n’ai pas perdu l’usage de mes mains.
Merci entre autres à l’infirmière qui m’a soignée en pédiatrie (durant son stage) et à son amour profond pour la nature de son travail. Elle me soignait comme une sœur et m’avait même donné une cassette du film Dirty Dancing (oui allô le cliché, mais je n’avais pas vu le film… et aussi, allô mon âge !!!).
D’autres personnes m’ont sauvé la vie; ce sont ceux et celles qui m’ont fait comprendre la vraie signification de ce que voulait dire « créer des liens d’amitié »; ces personnes m’ont fait voir que le temps n’était que relatif, et que j’avais encore bien d’autres choses à vivre. Merci surtout à Josée; relire ta lettre m’a profondément ému, de savoir que notre amitié a transcendé le temps, mais aussi, de revivre cette complicité intemporelle, m’a vraiment ravivé tout plein de souvenirs; Guillaume, je n’oublierai jamais tes folies à l’hôpital et tout ton soutien moral et humoristique dans ce moment difficile; Gab Côté, l’énorme dessin que j’ai toujours dans mon coffre, témoigne de ta sensibilité, ton amitié et ton amour. Merci aussi à mes ami-es du secondaire, de la danse, de l’enfance, que je ne peux pas tous et toutes nommer dans cette publication – l’inondation de messages que j’ai relu hier soir m’a rendu énormément nostalgique.
En terminant, nous avions fait un reportage en 2001 pour 5 sur 5 à Radio-Canada. Si j’ai des contacts qui y travaillent, j’aimerais bien avoir accès à l’émission qui était animée par Bernard Derome à l’époque.